Entre 10 et 100 hertz, Emilien Dubuc

. .
. .
Essai filmique d’Emilien

J’aime bien me dire que quand j’appuie sur le bouton, c’est parce que je suis prêt, que tout le monde est prêt et la personne en face de moi, à ce moment-là aussi elle est prête, je ne suis pas en train de voler des images, il y a une espèce de consensus, c’est-à-dire que tout le monde à ce moment-là est d’accord pour qu’on enclenche le processus du film. Et puis les trois minutes sont passées et comme on dit, ça y est, c’est comme on disait avant : c’est dans la boîte.

En entrant au Fresnoy en septembre 2022, Emilien Dubuc, biochimiste de formation, souhaitait concrétiser un projet artistique auquel il réfléchit depuis le premier confinement. Celui de réaliser un film à la main du tournage de ses images à l’aide de deux caméras (Aaton XTR et Beaulieu R16) jusqu’au montage de ses rushes en passant par le développement des pellicules en laboratoire.

Pendant la pandémie, j’avais beaucoup de cours en ligne donc j’étais sans arrêt devant mon ordinateur, et j’ai eu l’idée de commencer à faire des films sur pellicule ce qui était à l’époque pour moi pas très évident, et en fait ça m’a plu tout de suite.

. .

Le film que va réaliser Émilien durant la première année de son cursus au Fresnoy retrace l’histoire du quartier tourquennois La Bourgogne, où il réside, et qui, depuis la décision de la ville de le démolir, est en sursis. Son film, empreint d’une poésie évidente par la lecture de lettres qu’il destine à ses proches pour leur raconter son arrivée dans son nouveau logement au sein d’un quartier en ruine, aura aussi un aspect documentaire de par les témoignages de ses voisins, eux aussi forcés de quitter les lieux qu’ils habitent depuis bien longtemps.

Se sentir chez soi, ici? C’est peut-être possible, mais comment? Peut-être en y faisant un film. Un film qui agrège et tisse ensemble les éléments de mon quotidien étrange. Un film avec Tourcoing comme espace à explorer, mon quartier Bourgogne, mon immeuble et les personnes du voisinage en particulier. Un film pour garder la trace de ma transformation au contact des lieux et des gens qui feront partie de mon quotidien pour les deux prochaines années. Un film qui s’adresse à ces personnes que je rencontre, et aussi à mes proches qui ne sont pas là à mes côtés; mais à qui j’aimerais décrire ce que je vis. Un film pour qu’eux aussi puissent se représenter mon quotidien et saisir ma transformation. Et puis il faudrait aussi un film pour parler de la violence, présente partout ici. Comment ne pas être contaminé par cette violence quotidienne? En la transformant, en en isolant les traces et en les changeant en matière nouvelle pour un film. On prend du verre brisé et on en fait des vitraux.” 

. .
Essai filmique d’Emilien

“Ce film se veut aussi comme un mouvement pour que je trouve le courage d’aller au contact de mes nouveaux voisins. J’aimerais que ce film soit comme un espace public, dans lequel les personnes que je rencontre puissent se présenter. Comme il existe des écrivain·es publiques qui retranscrivent à l’écrit les histoires qu’on leur confie, j’aimerais être cinéaste public. Mes voisins et voisines pourraient me confier leurs histoires, notamment liées au quartier, et je les incorporerais au film. Un film comme un mouvement de voisinage, un cinéma de proximité, un film qui se produit déjà quand on fait le film sur le palier de mon appartement. Enfin, ce sera un film artisanal, sur pellicule, développé dans la chimie et à la main, pour que la transformation soit totale.”

. .

Encore en phase de test de toutes les images qu’il est possible de créer à l’aide des pellicules, Émilien nous ouvre les portes du laboratoire photographique du Fresnoy dans lequel il fait des tests pour tenter d’immortaliser l’empreinte de la destruction de son quartier.

. .

Sur quoi travailles-tu au laboratoire photo ?

Après le développement des pellicules sur laquelle des fragments de verre et de pierres trouvés dans le quartier ont été posés, vient le moment de découvrir le résultat, plus ou moins surexposé en fonction de la durée du flash de lumière émis au moment de la prise d’image : plus le flash est long, moins les empreintes laissées par les objets seront perceptibles.

C’est tout un travail de minutie auquel l’artiste s’attarde depuis maintenant quelques semaines et qui lui permet de réaliser à quel point le champs des possibles est vaste. Après ces expérimentations, Emilien repart en tournage dans son quartier afin de capturer de nouvelles images, de nouveaux fragments qui mis bout à bout, à la manière de pellicules, constitueront peu à peu son film.