Yue Cheng nous emmène à la rencontre d’un monde aux allures utopique où l’homme a rendu sa place à la nature. S’agit-il pour autant d’un monde fictif ? L’artiste joue entre fiction et réalité en nous prouvant que cette œuvre à l’aspect de conte n’est pas aussi inatteignable qu’on le pense.

Une structure porteuse d’une histoire
Ce projet artistique s’inspire du projet architectural éponyme entrepris à Dubaï en 2009. il s’agit d’un archipel de 300 d’îles artificielles représentant le monde.



Ce projet artistique porte un discours environnemental très fort. L’artiste a choisi de faire appel à des associations qui luttent pour la protection de l’environnement à Dubaï et dans une démarche écologique, elle n’a utilisé que des matériaux réutilisés ou récupérés pour fabriquer sa structure. Ainsi, le message qu’elle attribut à son œuvre est également porté par sa structure, et ce à plusieurs niveaux. A la fois par son aspect récupération mais également par son apparence trompeuse. Au premier abord, les roches qui soutiennent la structure métallique semblent être réelles mais elles sont en réalité en polystyrène. Un matériau choisi puis récupéré par Yue Cheng car il est extrêmement nocif pour l’environnement. Le fait de créer du naturel via une matière industrielle n’est pas laissé au hasard, il s’agit d’une métaphore visuelle qui critique le fait que le polystyrène prend peu à peu la place de la nature en l’écrasant au passage.

“Mes projets attachent beaucoup à l’expérience et donc à une nouvelle génération chinoise.” (Yue Cheng, pour la Fondation act on your future à propos de son projet Nuit Blanche)

“D‘où t’es venu cette envie de travailler sur ce sujet ?
La démarche artistique de Yue Cheng s’inscrit dans un désir d’aborder des thématiques sociales via un nouveau biais : celui de l’art. L’oeuvre devient alors le vecteur privilégié d’engagements politiques ou sociaux et elle peut déclencher une réflexion ou une remise en question.
En général, on dit que art et droit humains sont deux domaines différents mais je pense que nous, la génération née après les années 70, on se doit de discuter aussi les droits humains mais d’une manière différente et pour moi l’art c’est un outil qui peut questionner tout le monde… C’est une manière plus libre et plus dialectique.
La structure métallique qui constitue la base de son oeuvre représente une ruine de fondation immergée dans la mer. Un avant-goût du futur auquel serait condamné l’archipel. En effet, avec la montée des hauts, ces îles seront les premières à être immergées et donc à être désertées par les humains. Dans ce futur-ci, les animaux marins pourraient donc reprendre possession de ces territoires qu’ils ont été obligés de déserter à cause de la présence humaine et la pollution générée.

Quel est le scénario que ton oeuvre met en scène ?
En s’inspirant de ce scénario futuriste, Yue Cheng propose une confrontation entre la crise écologique et animale. La structure métallique supporte cinq écrans qui diffusent une vidéo montrant des mangroves et des dugong, deux espèces disparues du territoire désarmai occupée par le projet architectural The World, dont ce scénario a permis le retour.
La structure métallique de l’oeuvre porte des plaques de verre à l’arrière desquelles ont été fixés des films occultants. Pour cela, l’artiste accompagnée de l’équipe du pôle installation ont utilisé une technique appelée le marouflage.

Le marouflage qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’une technique qui consiste à fixer une surface légère (papier, toile) sur un support plus solide et rigide(toile, bois, mur), à l’aide d’une colle forte dite maroufle qui durcit en séchant. e bloc
Si le marouflage est mal fait, des bulles d’air peuvent se créer entre le verre et le film ce qu’il faut à tout prix éviter. Ce travail demande donc beaucoup de temps et de concentration.

Avant de déterminer le matériau utilisé pour ces écrans, il a fallut penser la disposition des différents éléments dans l’espace. Pour ça, il faut faire différents test : maquettes pour la forme, puis des tests de peinture sur le polystyrène par exemple pour s’assurer du rendu. Différentes maquettes ont été réalisées par l’artiste pour confirmer la forme de son oeuvre.

Première maquette créée pour représenter la forme globale de la structure
Seconde maquette réalisée pour accompagner la réflexion autour des matériaux à utiliser


Récupération des matières et matériaux … Il s’agit ici des matières organiques (algues et plantes) que l’artiste souhaitait disposer autour des roches.
Test des différentes matières. Ici Yue Cheng teste des morceaux de polystyrènes pour vérifier que la peinture tient bien dessus et que la matière est assez solide pour la structure. Elle s’occupe également de la taille de ces éléments.


Une fois les matières sélectionnées, il faut commencer la production finale. Ici l’artiste a terminé la peinture de ses morceaux de polystyrène avec un mélange de différents restes de peinture qui, mis dans une machine spéciale, se mélangent pour donner le ton qu’elle souhaite. Elle dispose à présent de la colle pour ajouter de la terre sur ses roches pour amplifier le réalisme.

Les différentes étapes de l’animation 3D
La vidéo projetée sur la structure a été créée en animation 3D car le dugong est espèce craintive et donc très peu approchée par l’homme. Pour les mangroves, l’animation 3D permet de créer un mouvement correspondant parfaitement à l’oeuvre, elle offre donc une liberté à l’artiste.
Étape 1 : Créer une animation qui ait la bonne couleur, la bonne texture et dont le mouvement satisfait les attentes.
Étape 2 : Planter la mangrove dans le décor pour mettre en contexte et s’assurer de la cohérence de l’animation.
Étape 3 : Projection dans les conditions réelles de l’installation et dans le lieu d’exposition de l’oeuvre.

40 secondes : 2,5 jours
Pour donner un ordre d’idée, l’animation du dugong dure 2 minutes 30 secondes et représente 3 à 4 jours de travail à partir d’un modèle existant.
L’animation de la mangrove dure 40 secondes et représente 2 jours et demi de travail.
Le décor qui accueille l’animation 3D demande également un grand travail de précision. Yue Cheng reproduit un espace aquatique qui doit, avec les vitres de la structure, donner un effet d’aquarium, comme si la structure était immergée dans les profondeurs. Pour cela, elle a du donner à l’eau une teinte bien spécifique en accord avec la mer dans laquelle se trouve le projet The World.
Yue Cheng : Pendant notre recherche, nous avons remarqué que la mer de The World était de couleur verdâtre. Il n’est pas clair s’il s’agit de l’effet d’organismes flottants ou d’une pollution humaine.
Pr Daniel ALLEMAND (scientifique au Centre Scientifique de Monaco) : Cette couleur est due à la prolifération de microalgues planctoniques due à l’eutrophication de l’eau.