Interior da terra

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Le court-métrage Interior da terra de l’artiste Bianca Dacosta est une exploration du territoire de la forêt amazonienne. Passant de vues aériennes aux entrailles du sol, Bianca Dacosta combine plusieurs échelles et nous entraîne dans un voyage à travers les strates terrestres pour révéler les couches d’histoire enfouies. Le film s’inscrit dans les enjeux politiques liés à la destruction de la forêt amazonienne et de ses peuples, à travers les témoignages de Marcia Mura, issue du peuple Mura, et de plusieurs habitant·e·s de la forêt amazonienne et de la ville de Porto Velho.

La terre est une poussière magique qui protège la mémoire et conserve les traces et les fragments enfouis. C’est l’endroit où nous posons nos pieds pour élever nos corps et où s’opère la transformation des mémoires en richesses. Couche après couche. Extraire les richesses de la terre n’est rien d’autre que supprimer ses souvenirs.

Vidéo interactive : découvrez l’interview de Bianca Dacosta

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Quatre types d’images à différentes échelles

Dans le film Interior da terra, Bianca Dacosta combine plusieurs natures d’images, se situant à différentes distances de la forêt. Dans un jeu entre le macro et le micro, la caméra s’éloigne, se rapproche, et survole le territoire. Le montage vidéo entremêle ces différentes vues pour nous plonger peu à peu dans les strates du sol de l’Amazonie, métaphore des problématiques écologiques et politiques du Brésil.  

L’alternance de ces jeux d’images et d’échelles nous fait perdre nos repères spatiaux. A quelle distance du sol se situe-t-on ? Cette idée de déboussolement et de perte de repères a été gardée dans le montage final du film comme métaphore de notre propre état face à l’urgence écologique.

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Prise de vue avec drone
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Prise de vue à hauteur des habitant·e·s
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Gros plans photographiques du sol
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Vues microscopiques du sol et de fragments de bois brûlés

Vues d’en haut : drone et images satellites

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Ces plans du film en vue aérienne ont été le point de départ de recherches sur les zones les plus récemment touchées par la déforestation autour de Porto Velho où le film a été tourné.
En utilisant l’application AVENZA et avec l’aide des activistes et des peuples de la forêt, le film utilise des images de drone de ces zones qui sont déboisées à un rythme accéléré ces dernières années. Vu d’en haut, ces destructions sont particulièrement visibles.

L’idée du film vient aussi de mes derniers travaux basés sur des images satellites qui montrent l’accélération de la déforestation dans la forêt amazonienne, ces images montrent la disparition de cette partie de la forêt, son effacement, sa disparition.

L’idée du film était d’enquêter sur ces zones qui disparaissent, par leurs traces, leurs marques à partir du sol, comme une cartographie ou une archive vivante gardant en mémoire l’effacement et la destruction de ce territoire et de son peuple d’origine.

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A hauteur des habitant·e·s de la forêt

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L’accès à l’Amazonie se faisait par la rivière Madeira. Ce chemin en bateau en remontant la rivière m’a fait me sentir plus proche des peuples de la forêt, les peuples traditionnels, ses communautés fluviales, et de leur quotidien en relation directe avec la nature.

Tout le film est né de la relation de Bianca Dacosta avec le territoire de l’Amazonie et a pris la forme d’une enquête sur sa destruction en cours, tout d’abord dans la ville de Porto Velho, où elle a rencontré plusieurs artistes et activistes écologiques. Cette ville était le point de départ des expéditions pour les zones déforestées, repérées en avance grâce à la géolocalisation.

Durant son voyage, elle fait notamment la connaissance de Marcia Mura à Nazaré. Cette femme fait partie du peuple Mura, un groupe déplacé de son territoire d’origine, la rivière Madeira, pour survivre à la colonisation et à la culture intensive du caoutchouc qui ont entraîné mort et destruction. Cette personnalité très engagée dans la défense de l’Amazonie deviendra centrale dans le processus du film, et est filmée à plusieurs reprises.

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Marcia revient dans son territoire d’origine et essaye de “tirer les fils de la mémoire” de l’effacement de son peuple qui vivait là avant.

C’était la rencontre parfaite pour le récit que je voulais construire dans le film, c’est à ce moment que j’ai voulu écrire une partie du film avec Marcia. La résistance de Marcia et sa famille à Nazaré ont été pour moi une source d’apprentissage et d’inspiration pour le film. Sa présence dans le film rend sensible la dimension humaine des conséquences de la déforestation.

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Matérialiser les strates terrestres : Mémorias de Nazaré

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Des gros plans du sol en photographie argentique ont été imprimés sur un papier transparent et collés sur des plaques de verre, superposées dans une boîte en bois réalisée sur mesure, qui s’ouvre comme une commode. Cette boîte a été filmée pour obtenir certaines des images présentes dans le film, mais elle constitue également une œuvre à part entière, nommée Mémorias de Nazaré.

Comme une exploration de la destruction de l’Amazonie, on traverse les strates géologiques pour s’interroger sur cette source de mémoire qu’est la terre, qui, petit à petit, avance vers la disparition.

La boîte comprend quatre tiroirs, chacun recouverts d’une photographie où les veines géologiques s’entremêlent par transparence. Les couches (de bas en haut) représentent :

  • l’argile utilisée par les peuples de la forêt comme base dans la construction de leurs habitations.
  • un sol dans une parcelle de plantation de soja.
  • des marques d’un tracteur dans un champ agro-industriel.
  • une empreinte d’écorce de seringueira (l’arbre à caoutchouc).
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Essai de superposition des tirages transparents au laboratoire photographique du Fresnoy
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Premiers essais de prise de vue de déplacement des strates de la boîte lumineuse
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Construction de la boîte à l’École des Arts décoratifs de Paris.

Images microscopiques, au cœur de la matière

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Pour ce projet, Bianca Dacosta a également travaillé en collaboration avec un laboratoire scientifique à Lille pour obtenir des images microscopique du sol de la forêt. Avec les scientifiques, elle a travaillé avec un microscope électronique à balayage à partir d’échantillons du sol et des bois calcinés ramenés d’Amazonie, pour rentrer au plus profond de la matière.

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Soudain pénétrant à l’intérieur de ce sol, nous sommes dans une cosmologie différente, mouvante, poreuse, liquide, composée de particules et d’agents qui impriment et modifient sans cesse sa structure et sa forme jusqu’à disparaître petit à petit.

Les images microscopiques sont pour moi une façon d’aller au cœur de l’intimité de cette zone détruite. Comment traverser la surface de nos propres yeux ? Comment aller dans la matière pour mieux la regarder, l’analyser, les traces qu’elle garde, les cicatrices internes à partir des échantillons de sol, bois calcinés et cendres récupérés dans les zones détruites géolocalisées ?

C’est aussi regarder l’invisible. La matière de la microscopie, le grain de la matière, était pour moi une constellation qui nous ramène à l’univers. L’idée que l’intérieur et l’extérieur sont connectés et que sommes toutes et tous des particules de ce grand univers infini.

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Aquarelles réalisées par Bianca Dacosta à partir d’un fruit traditionnellement utilisé comme pigment par les peuples amazoniens, le jenipapo

Ambiance sonore du film

La bande-son du film est un élément très important, qui permet d’unifier les images, et de retranscrire l’ambiance de la forêt. Bianca a travaillé avec le compositeur Yann Le Frit pour arriver au résultat souhaité.

Écoutez un extrait sonore de la bande-son

L’espace sonore sera composé de plusieurs éléments : tout d’abord de sons ambiants comme des enregistrements de son du sol ainsi que d’autres bruits de la forêt. Ensuite, on pourra y retrouver des voix off d’interviews de personnes habitant ce territoire et racontant leurs relations ancestrales avec la terre, ses transformations et incidents causés par la déforestation et l’action humaine.
Cette composition sonore de sons ambiants et de discussions finit par se brouiller et disparaître au profit d’une écoute globale menant
à un silence bruyant.

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Extrait du carnet de travail de Bianca Dacosta, à propos de la bande-son
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L’équipe du film

Réalisatrice : Bianca Dacosta
Cheffes opératrices : Bianca Dacosta / Raissa Dourando
Cheffes sons : Bianca Dacosta/ Raissa Dourando

Drone : Leandro Marques, Ruan Gabriel
Assistante réalisatrice : Victoria Quiring
Montage : Raoni Vidal
Montage son: Benjamin Polaine, Benjamin Ramelet

Composition sonore : Yann Le Frit
Mixage : Martin Delzecaux
Étalonnage : Hazem Berrabah

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Aquarelles réalisées par Bianca Dacosta à partir d’un fruit traditionnellement utilisé comme pigment par les peuples amazoniens, le jenipapo
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Voir Interior da terra

Vous êtes enseignant·e·s et vous souhaitez consulter ce film ou le diffuser dans un cadre pédagogique ? Merci d’écrire à l’adresse service-educatif@lefresnoy.net pour obtenir un accès en ligne au film.

Pour toute autre diffusion du film, merci de contacter Natalia Trebik, chargée de diffusion : ntrebik@lefresnoy.net

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Au delà du film, des séries photographiques

Durant son séjour en Amazonie pour le tournage de ce film, Bianca Dacosta a également réalisé en parallèle deux séries photographiques, Dorsal et Traga Terra (“Avaler la Terre”). On retrouve dans ces deux séries l’intérêt qu’elle porte aux traces de la destruction de l’Amazonie ; dans Dorsal, elle photographie les cicatrices laissée par l’extraction du caoutchouc sur le tronc de l’arbre Hévéa, dont la forme évoque une colonne vertébrale et la proximité entre l’arbre et l’humain.

Ces marques, cicatrices gardées pendant de nombreuses années sur le corps de ces arbres ont attiré mon attention comme étant tantôt des marques de l’histoire de l’humanité qui blesse la nature, tantôt des marques du corps humain qui, de nos jours, est de plus en plus endommagé par tous les changements climatiques dans le monde.

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Dorsal, photographies argentiques noir et blanc, 35mm

La série Traga Terra s’intéresse quant à elle aux bateaux chercheurs d’or qui parcourent l’Amazonie et en aspirent les bords avec de grands tuyaux, une pratique illégale qui contamine l’eau et perturbe les habitants de la forêt, humains comme animaux.

Traga Terra est pour moi une façon d’exploiter par l’image ces fameux radeaux miniers et de les traiter comme des bêtes qui aspirent la terre à la recherche de ses richesses.

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Traga Terra, photographies argentiques noir et blanc, 35mm
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Traga Terra, photographies argentiques noir et blanc, 35mm

Ces deux ensembles de photographies montrent comment plusieurs travaux peuvent parfois découler d’un même projet et naître en parallèle à partir d’une même thématique, la destruction de la forêt amazonienne traitée par l’homme comme une ressource à exploiter.

Extraits de lectures de Bianca Dacosta

Ci-dessous, quelques extraits des ouvrages qui ont inspiré Bianca durant la réalisation de ce film.

La chute du ciel, David Kopenawa et Bruce Albert :

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Scrollez vers la droite pour consulter les extraits.

Against Nature, Lorraine Daston :

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Scrollez vers la droite pour consulter les extraits.

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Bianca Dacosta

Originaire du Rio de Janeiro, Brésil, Bianca Dacosta développe une pratique qui part de l’expérience du quotidien pour observer les phénomènes physiques et naturels, perçus par nos sens. Elle questionne la perception de l’espace, du corps et de la nature. Le mouvement naturel et organique présent dans les éléments naturels l’inspire pour donner forme et rythme à ses performances. Interrogeant la situation du Brésil et l’urgence climatique, son travail a une importante dimension politique.

Bianca Dacosta s’intéresse aux choses invisibles, en transition, pour questionner notre temps présent, la matérialité de ce que nous vivons. Son travail se construit autour des lieux qu’elle habite et se matérialise par des dispositifs multiples dans lesquels se mêlent performance, photographie, vidéo, sculpture et installation.

Site web : https://fr.biancadacosta.com

Instagram : @biadascostas

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En savoir plus sur le contexte de création au Fresnoy – Studio national des arts contemporains

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