Le film Achewiq, le chant des femmes courage de l’artiste Elina Kastler est un hommage aux femmes kabyles qui chantent Achewiq pour sublimer leurs souffrances. Achewiq est un chant ancestral a capella (sans instruments), réservé aux femmes, qui comporte une forte dimension intime puisque celui-ci leur permet d’exprimer leurs émotions. Surmontant les conséquences tragiques des incendies en Kabylie, ou racontant des évènements difficiles de leur vie, ces femmes se relèvent dans les rires et la joie. C’est cette force puisée dans le chant qui a inspiré le court-métrage réalisé par Elina.
« Comment as-tu découvert le chant Achewiq et en quoi est-ce qu‘il t’intéresse ? »
Dès lors, l’artiste effectue de nombreuses recherches sur Achewiq. Elle récolte beaucoup de connaissances à ce sujet, en se rapprochant notamment de la Coordination des Berbères de France. Le projet continue de germer lorsqu’elle rencontre physiquement plusieurs femmes kabyles chantant Achewiq en France et virtuellement d’autres femmes, en visioconférence depuis la Kabylie.
C’était aussi un moyen pour moi de renouer avec mes ancêtres puisque ma grand-mère chantait Achewiq, mes arrière-grands-mères très certainement aussi. Voilà, c’était aussi un moyen de faire perdurer une tradition que je n’avais peut-être pas connue.
Recherches autour de l’Achewiq
Achewiq est une forme de résistance. La force du verbe traduit le courage de celle qui l’interprète et procure du courage à celui qui l’écoute. Il leur arrive de dire des choses, quand on les écoute, on arrive enfin à mettre en mots nos sentiments. Quand elles décrivent leurs résistances, on a envie de leur ressembler, d’être aussi résistantes qu’elles.
Extrait d’un entretien avec Lynda Hanytour, écrivaine et metteuse en scène
> Extrait vidéo d’entretiens avec Djedjiga et Nora At Barhim, deux femmes kabyles installées en France depuis de nombreuses années
Moodboard d’inspiration d’Elina pour le film <
Je n’ai jamais voulu céder à ces pressions, car c’était encore une façon de m’empêcher de chanter. Or, chanter était devenu pour moi plus qu’une vocation, plus qu’un combat, plus qu’une manière de m’affirmer au travers un art, c’était devenu un engagement.
La Saison des Narcisses, Djura, 1993
Achewiq, le chant des femmes courage est le premier documentaire réalisé par l’artiste. Ses deux films précédents (Sosuke et Valérie Valère ou l’Obsession Blanche) sont des courts-métrages de fiction, mais il existe un lien indéniable entre les trois œuvres.
« Qu’est-ce qui fait le lien entre tous tes films ? »
Sosuke
2020
Court-métrage réalisé au Japon, avec très peu de moyens, sur la base du volontariat. Il met en scène un jeune garçon atteint du syndrome d’Asperger, en évoquant sensoriellement cette particularité.
Valérie Valère ou l’Obsession Blanche
2021
Fiction expérimentale sur le rapport au monde très tendu qu’entretient une écrivaine ayant existé. Le film imagine le processus de création de Valérie Valère, à l’heure où elle est en pleine rédaction d’un roman.
Parcours au Fresnoy
En septembre 2021, Elina Kastler intègre le cursus du Fresnoy pour deux ans. Cela fait déjà plusieurs mois qu’elle réfléchit à la réalisation d’un film sur le chant Achewiq, motivée et particulièrement touchée par ses découvertes issues des recherches préalables qu’elle a menées. Elle considère Le Fresnoy comme le terrain adéquat pour penser plus concrètement son projet, mais aussi comme une boîte à outils à même de l’accompagner artistiquement et techniquement.
« En quoi te correspondaient les modalités du cursus du Fresnoy ? »
Le projet d’Elina se construit autour de son envie d’aller à la rencontre de ces femmes en Kabylie qui chantent Achewiq, afin d’en faire les protagonistes d’un documentaire soulignant leur beauté et leur courage.
Au niveau administratif, de multiples interrogations naissent, liées à la condition d’un tournage à l’étranger, en plus de la difficulté d’obtenir une autorisation pour se rendre sur le territoire. L’artiste établit alors une liste de questions qu’elle adresse aux personnes travaillant dans le domaine audiovisuel en Kabylie. En voici quelques unes :
- Est-ce compliqué de tourner en Kabylie ?
- Puis-je filmer les régions incendiées ?
- Ai-je la possibilité de ramener du matériel depuis la France ?
- Je cherche aussi un·e ingénieur·e son, pensez-vous pouvoir m’aider ?
- Quelles sont les conditions pour filmer en toute sérénité des personnes ? Des conseils, des choses à éviter ou à faire au contraire ?
Face à l’incertitude quant à son départ en Algérie pour le tournage, Elina prévoit un scénario secondaire dans le cas où les démarches n’auraient pas abouti. Celui-ci se concentre sur la manière dont la culture kabyle perdure en France et met en scène les femmes rencontrées lors de ses recherches. La frustration que l’artiste ressent lors de l’attente de son visa se révèle fortement dans le texte d’introduction qu’elle rédige pour le scénario du film tourné en France :
Il est pour moi impossible de partir en Kabylie. Pourtant, j’ai le désir profond de m’y rendre.
De fouler la terre de mes ancêtres.
De parcourir les chemins qui ont forgé mon sang.
De retrouver le regard de ma grand-mère et de ma mère dans celui des inconnues.
De comprendre. D’observer. De ressentir. D’éprouver. Paysages. Paysages inconnus.
Puis-je retrouver cette même curiosité, cette même contemplation dans des paysages que je connais déjà tant ?
Comment faire pour voyager à l’intérieur même de mon habitat quotidien ? Ai-je le droit de rêver à une culture qui n’est pas la mienne mais qui est si proche de moi ?
Accompagnée par Le Fresnoy et par la boîte de production algérienne Alpha Tango qui s’engagent à co-produire le film, Elina réussit à obtenir un visa culturel et non pas touristique. Son projet retrouve sa trajectoire initiale et elle part en Algérie en février 2022.
Arrivée en Kabylie
« Comment as-tu été accueillie et quelles ont été les approches de ton sujet une fois sur place ? »
Elina reste en Kabylie durant deux mois au total ; tout d’abord un mois et demi de repérages seule, à l’aide d’un matériel compact. Elle imagine capturer des images brutes, contrastant avec les images oniriques qui seront filmées avec un matériel plus conséquent dans le second temps du tournage. Celui-ci est concentré sur 3 jours, pendant lesquels l’artiste est rejointe par sa cheffe opératrice, Juliette Barrat, et une petite équipe constituée par la boîte de production algérienne qui se réduit à 1 ingénieur son, 1 assistant caméra et la productrice d’Alpha Tango. Après le tournage, Elina reste seule durant deux semaines supplémentaires afin de filmer les images qui manquaient.
« Quelle attention as-tu portée à la composition de ton équipe ? »
> Extrait du story-board
Le premier jour de ce temps de tournage en équipe se déroule à Ait Aissi (dont les images n’apparaissent pas dans le film). La deuxième journée est consacrée au tournage de paysages autour du village de Sahel, et le dernier se concentre se concentre sur les femmes rencontrées par Elina à Sahel, et avec lesquelles un fort lien de confiance s’est tissé. Les images tournées ce jour-là correspondent aux moments de fin du film.
Elles ont joué le jeu de manière fantastique. Elles se sont laissées diriger avec joie et elles ont été force de proposition.
« Comment as-tu vécu la collaboration avec ta cheffe opératrice Juliette Barrat ? »
A son retour en France, Elina entre en phase de montage. Face à l’accumulation de la matière (énormément d’heures de rush) et l’envie d’en montrer le plus possible tellement l’expérience a été intense, l’artiste se questionne sur l’œuvre qu’elle souhaite réaliser.
« Quel est le fil rouge qui t’a permis de penser puis d’articuler ton film ? »
Lors d’une première semaine de montage en autonomie, Elina explore la matière et s’y perd. Accompagnée par une stagiaire sur les deux semaines suivantes, l’artiste considère plusieurs formes potentielles pour son projet (film en trois actes, film autour de deux femmes particulièrement, …). A deux, elles parviennent à monter une version initiale du film. Dans la semaine de pause avant le montage son, Elina se remet à travailler sur le montage image, n’étant pas pleinement satisfaite de cette version. Pour ce faire, elle fait appel à Maxime Tasserit.
« De quelle manière le processus de travail avec le monteur image Maxime Tasserit vous a mené au résultat final du film ? »
J’ai dû faire beaucoup de sacrifices sur les choses que j’ai tournées. […] C’est à me questionner si je n’ai pas envie de faire un épisode 2, avec tout ce que j’ai pu tourner notamment dans l’autre village ; où j’axerais mon projet sur un autre sujet qui serait plutôt la question de latransmission, alors que dans ce film là c’est beaucoup plus porté sur la résilience et comment se remettre de nos souffrances avec joie.
Projection et échanges entre Elina et des collégien⸱ne⸱s, au Fresnoy, automne 2022 <
Diffusion du film
« Que désires-tu au travers de la diffusion de ton film ? »
Des programmations en festival :
– IDFA du 9 au 20 novembre 2022
– FIPADOC 20 au 28 Janvier 2023
– INDIELISBOA du 27 avril au 7 mai 2023
Et après ?
Achewiq est un sujet vaste, immense. Au travers de ce court-métrage, j’ai tissé des liens familiaux et j’ai retrouvé des traces de mon héritage. Je sens pourtant que je n’ai pas exploré toutes les profondeurs que permettent ce sujet. J’ai encore beaucoup d’éléments visuels et émotifs dans mes rushs. C’est pourquoi j’envisage de repartir en Algérie, retourner des images, et penser un autre film, toujours basé sur Achewiq, mais plus long. Ce film parlerait plus de mon rapport intime à cette culture, et nous retrouverons les protagonistes du court. J’aimerai aussi inclure d’autres femmes, et penser un espace de création collaboratif autour des chants Achewiq.
Voir Achewiq, le chant des femmes courage
Vous êtes enseignant·e et vous souhaitez consulter ce film ou le diffuser dans un cadre pédagogique ? Merci d’écrire à l’adresse service-educatif@lefresnoy.net pour obtenir un accès en ligne au film.
Pour toute autre diffusion du film, merci de contacter Natalia Trebik, chargée de diffusion : ntrebik@lefresnoy.net
Elina Kastler
Grâce à son parcours pluridisciplinaire, Elina consolide sa vision artistique autour de la notion de personnage. A la fois comédienne et cinéaste, elle est diplômée de deux masters en cinéma et en arts contemporains.
Ses projets se déploient autour de la mise en scène de personnages qui se sentent en décalage, que l’on pourrait considérer comme étant « en dehors des normes sociales”. Ses films sont une expérience sensorielle, où le rêve et la réalité sont mêlés. L’image devient une parole, les mots des images.
Site web : http://elinakastler.wixsite.com/artist
Instagram : @elina_kstlr
L’équipe du film
Réalisatrice : Elina Kastler
Cheffe opératrice : Juliette Barrat / Images du quotidien : Elina Kastler
Assistante caméra : Amine Stof
Ingénieur du son : Hocine Mellal
Montage image : Maxime Tasserit
Stagiaire montage image : Pathana Chansamone
Montage son : Clément Décaudin
Stagiaires montage son : Pathana Chansamone,
Morgane Bello
Mixage : Tom Nollet
Etalonnage : Juliette Barrat
Interprètes : Ouiza Chabi, Taos Chabis, Fatma Bara, Hnifa Remini, Houria Remini, Johra Amini,Tassadit Harriche