Filmer des insectes sur le plateau de tournage avec Victor Missud pour le film Solenopsis Invicta

Pour son court métrage Solenopsis Invicta, tourné en grande partie sous le soleil de Palerme dans un jardin de cactus, le réalisateur Victor Missud a également effectué des prises de vue sur le plateau de tournage du Fresnoy, afin d’obtenir des images en très gros plan des insectes qui peuplent le jardin.

Synopsis du film
Dans une pépinière de cactus à Palerme, une drôle de communauté humaine vit en étrange symbiose avec les insectes et les plantes, à l’abri de la violence du monde. Ce fragile écosystème sera mis à mal par l’arrivée d’agents de désinfection à la recherche d’une fourmi considérée comme nuisible.

Retrouvez ci-dessous une interview du réalisateur Victor Missud à propos de cette étape du tournage.

Avez-vous utilisé une caméra ou un objectif particulier pour obtenir les vues rapprochées des insectes ?

Victor Missud : Pour le tournage sur le plateau, nous avons utilisé la même caméra que durant le tournage en extérieur à Palerme (une Canon C70), mais cette fois avec des objectifs macro, permettant notamment  de se rapprocher très près du sujet. Par exemple, nous avons entre autres utilisé un Laowa 24mm, qui se présente sous la forme d’un long tube fin de 40 cm, qui permettait de le glisser aisément entre les herbes et de se tenir à seulement 4 mm des insectes. 

Un des inconvénients de ces objectifs était, en revanche, qu’ils nécessitent plus de lumière que les objectifs classiques. De plus, à une distance de 4 mm, la profondeur de champ devient infime : il était donc nécessaire de fermer le diaphragme pour obtenir davantage de netteté sur le sujet et l’arrière-plan, ce qui avait pour conséquence de couper encore davantage de lumière. Il était donc important d’éclairer beaucoup la scène en studio. 

Comment avez-vous procédé pour arriver à un éclairage si proche de la lumière naturelle de Palerme ?

Victor Missud : On le doit au talent d’Aurore Toulon, cheffe-opératrice du film, je serais bien incapable de dire comment elle a réalisé cette magie ! 

Aurore a aussi la bonne idée d’organiser le tournage en studio à la suite du tournage en extérieur, afin de pouvoir s’appuyer sur les lumières que nous avions obtenues à Palerme. De plus, ce tournage en studio a eu lieu après 3 semaines de montage, à un moment où nous commencions à avoir une idée plus précise des plans d’insectes à chercher ainsi que leur emplacement dans le montage, et donc de la lumière à reconstruire en fonction des images qui les côtoient. 

Il y a également eu l’étalonnage qui est venu homogénéiser ces deux types d’images : au moment du tournage, Aurore a créé une “Lut” (une “colorimétrie” provisoire) pour que nous puissions filmer et avoir directement un rendu proche de celui que nous souhaitions. Ensuite, durant trois jours avec Yannig Willmann, en charge de l’étalonnage et des VFXs, magicien lui aussi, nous sommes allés plus loin dans ce travail de l’image et de l’ambiance visuelle du film, et dans l’homogénéisation des images de studio et d’extérieur entre elles. 

Un éleveur d’insecte t’a aidé à choisir l’espèce de fourmi la plus adaptée pour le tournage. Pourrais-tu nous en dire plus sur le comportement que tu souhaitais pouvoir filmer ?

Victor Missud : Les insectes filmés en studio ont été amenés par Yann Margolé, passionné et éleveur d’insectes, et plus spécialement de fourmis, basé à Lille. Yann m’a présenté les fourmis qu’il avait chez lui, et toutes les espèces n’ont pas les mêmes comportements ni les mêmes habitats : certaines vivaient essentiellement sous terre, d’autres à la surface, etc. Nous cherchions plutôt une fourmi de grande taille, qui reste à la surface et ne se déplace pas trop rapidement, qui n’apparaisse pas trop effrayante une fois filmée en macro et qui puisse déplacer des choses avec ses mandibules. 

Au départ, pour que les fourmis puissent communiquer avec les humains en morse lumineux, je rêvais d’une fourmi qui puisse se saisir d’un petit caillou et le secouer pour produire des reflets de lumière. Au moment des tests caméras en novembre, j’ai récupéré des fourmis dans le jardin du Fresnoy, et en leur présentant un petit grain de sucre, de façon tout à fait inespérée, c’est ce qu’elles ont fait : elles s’en saisissaient avec leurs mandibules et l’agitaient comme pour produire intentionnellement des reflets de lumière. Malheureusement ces fourmis (des Lasius Flavus) vivent quasi-essentiellement sous terre, sont toutes petites et étaient très difficiles à filmer, nous avons donc du en chercher une autre.

Victor Missud : Les Camponotus Fulvopilosus présentes dans le film, en plus d’être très belles avec leur pelage jaune, correspondaient à tout ce que nous cherchions, et Yann en avait une gigantesque fourmilière chez lui. Mais au moment du tournage, le sucre ne les intéressait absolument pas : comme celles-ci viennent d’un élevage, elles ont constamment assez de nourriture et ignoraient tous mes cadeaux gourmands. Avec Aurore à la caméra, nous sommes donc restés à l’affût d’une autre action particulière qu’elles feraient régulièrement et sur laquelle s’appuyer avec les VFXs pour leur communication en morse lumineux. On a remarqué que souvent, elles se repliaient sur elles-mêmes pour se nettoyer l’abdomen, et c’est devenu leur geste faiseur de lumière. 

Capture d’écran du film Solenopsis Invicta, 2025

Pour les autres insectes filmés, as-tu choisi des espèces d’insectes que l’on retrouve spécifiquement à Palerme ?

Dès le départ, cela m’intéressait de mélanger les espèces sans forcément m’attacher au réalisme, afin de rendre compte d’un jardin accueillant pour tout le monde.

Je souhaitais que le monde des insectes soit aussi divers que celui des humains de cette pépinière, qui accueille tous les jours des personnes avec des problèmes psychiatriques, des mineurs sous main de justice, des personnes toxicodépendantes, des clients, des passants… Je voulais que la diversité chez les insectes, ainsi que chez les plantes, soit à l’image de cette communauté très multiple mais tout à fait fonctionnelle.

Capture d’écran du film Solenopsis Invicta, 2025

Le film Solenopsis Invicta de Victor Missud sera visible dans l’exposition Panorama 27, du 19 septembre 2025 au 4 janvier 2026.

Vous pouvez également suivre Yann Margollé, le passionné d’insectes, sur sa chaîne Youtube Le Bestiolarium.

Vue de l’un des insectes de la collection de Yann Margolé sur le tournage