Sans méchants ni gentils, sans victoire ni défaite, le court métrage Enthéorie du réalisateur Jérémie Danon est un conte dans lequel les personnages tentent de remplir leurs rôles et de suivre les voies qui leur ont été indiquées. On y suit les péripéties d’un héros, qui traverse d’hostiles contrées afin de rejoindre la princesse qu’il pense devoir délivrer.
Cette histoire nous mènera jusqu’au palais, où la princesse attend impatiemment de pouvoir échapper à son sort. Et si les rôles qui nous sont attribués à la naissance pouvaient être échangés ?
Par le registre du merveilleux, ce projet aborde la question du déterminisme, du libre arbitre et des rôles qui nous sont attribués.

Pour ce film, Jérémie Danon a réalisé un story-board, une série de dessins permettant de visualiser l’ensemble des plans du film plusieurs mois avant le tournage. Les dessins donnent des informations techniques (cadrage, position des personnages), mais aussi artistiques (intentions d’ambiance, choix des décors, couleurs…). L’ordre est celui du montage final.
Cet outil permet aussi de faciliter le travail avec les membres de l’équipe pour la préparation et le tournage. Les illustrations sont particulièrement détaillées, et fidèles au résultat final. Pour les réaliser, Jérémie Danon a utilisé un mélange de techniques, avec tout ce qu’il avait sous la main : encre de Chine pour les noirs, feutres, aquarelles, crayons de couleur… et même parfois du Tipp-Ex pour rajouter du blanc par endroits. Ce côté bricolé et instinctif faisait partie intégrante du plaisir de les faire.

C’est la première fois que je réalise une fiction, et le dessin a joué un rôle essentiel dans la construction de cet univers. Il m’a permis de penser les personnages, leur place dans les espaces existants, que j’ai découverts grâce à Barbara Merlier (chargée de production au Fresnoy) qui m’a accompagné dans cette aventure, en me faisant visiter et partager ces lieux.
Les décors et les acteur·ices existaient déjà, il s’agissait simplement d’assembler les deux en dessinant.
Aujourd’hui, ce travail est un début, un socle pour une ambition plus grande : réaliser un long-métrage sur le même mode, celui du conte de fées. Un monde entièrement fabriqué, qui puise à la fois dans le réel et dans les codes du conte, et qui mélange les deux. Ce que j’aime dans ce registre, c’est cette liberté totale : tout devient possible, il suffit de l’imaginer… et de le dessiner. J’ai beaucoup de chance d’être aussi bien accompagné dans ce processus.
Jérémie Danon
Comparatif entre story-board et plans du film


A peine a t-il frappé que son épée se brise. Le héros ne tombe pas, son adversaire non plus.


—- silence (L’Acolyte regarde vers le ciel nuageux)
Acolyte : « Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne saison pour commencer l’aventure. »


Le soleil se manifeste pour éclairer nos deux protagonistes. Le terrain est humide. À chaque pas, leurs pieds s’enfoncent un peu plus dans le sol.
Héros : «Si je suis un héros, quelles sont mes responsabilités ? Aurait-on oublié de m’en donner ? Ne suis-je pas censé souffrir ?
(Silence…) Ulysse aurait pu arrêter de souffrir, lui, deux fois même ! Mais il a choisi de continuer, de ne jamais s’arrêter… Est-ce que j’ai
seulement le droit de me prétendre héros moi qui n’ai pas souffert ? Peut-être n’a t-on plus besoin de héros !? Peut-être n’a t-on jamais
eu besoin de moi !?»


Les princesses regardent et écoutent une voix qui se déplace dans la pièce. La personne que l’on entend semble faire les cent pas.
La voix : « S’ennuyer serait-il devenu compliqué ? Sommes-nous capables seulement de ne rien faire et de nous sentir bien en le faisant ? Sommes-nous encore capable de lire non pas pour apprendre, regarder pour oublier tout de suite ce que l’on a vu, bouger pour la simple beauté d’un mouvement. Tout doit-il nous apporter un bénéfice ? Est-il inconcevable de dire : «Aujourd’hui je n’ai rien fait. Non pas parce que j’en avais besoin mais parce que j’en avais envie.»


Héros et Acolyte sont dans l’eau. Le ciel rose orangé se reflète dans les flots qui leurs arrivent jusqu’aux genoux. Ils ont ralenti, épuisés, le son des vagues a pris la place de leurs habituelles discussions.


à tort considérés comme les signes d’une vacuité existentielle, ne sont en rien antinomiques d’un épanouissement dans la plus grande
sobriété…»
La Princesse et ses amies n’écoutent plus, elles en ont assez.


Galice : «Non je n’ai rien. Dans les contes seuls les méchants ont des plans, je ne suis pas méchante donc pas de plans.
Éventuellement, tout ce que je peux faire c’est attendre que quelqu’un vienne créer des problèmes dans ma vie.»


Leur rythme a ralenti, le son ne s’étend pas de la même manière, il est celui d’un intérieur vaste.
Une musique prend de plus en plus de place, en son centre nous pouvons reconnaître les notes d’un clavecin.
Le Héros découvre la pièce d’où provient cette musique, le joueur de clavecin s’arrête surpris de l’arrivée d’un spectateur qu’il n’attendait pas.
Le Héros repart, la musique reprend.



Le film Enthéorie de Jérémie Danon sera visible au Fresnoy dans l’exposition Panorama 27 – Simultanéité du 19 septembre 2025 au 4 janvier 2026.